• Les fondements structurels de la reprise allemande

     

        Alors que la France ne sort que difficilement la tête de l'eau, l'Allemagne affiche des chiffres à faire pâlir un diplômé de l'ENA. La balance commerciale teutonne perce des plafonds historiques, les chiffres du chômage fondent bref, l'Allemagne s'impose chaque jour un peu plus comme LA grande puissance économique européenne. La vulgate journalistique nous démontre à quel point ce succès phénoménal est dû aux réformes éclairées de Gerard Shroder, chancelier social-démocrate entre 1998 et 2005. Cependant certains économistes franchouillards réfutent cette théorie en soulignant notamment certains avantages structurels de l'économie allemande, absolument déconnectés du massacre social que furent notamment les 4 lois Hartz. Comment l'Allemagne a-t-elle put sortir si brillamment de la crise ?

     

        Le premier élément de réponse concerne la démographie. La France se targue d'être le pays le plus fertile d'Europe alors que l'ogre allemand accuse une perte de population drastique. Depuis les quinze dernières années, l'Allemagne a subi une perte de population de presque deux millions d'habitants alors que dans le même temps, la France a connu un accroissement de 4,9 millions d'habitants. Évidemment cette vigueur dans la fécondité française est un atout à long terme mais semble avoir été un poids quant à la gestion de la crise. Notre hausse démographique emporte des nécessités de dépenses, privées comme publiques, que nous aurions préféré éviter ces cinq dernières années. Des dépenses que les allemands n'ont pas eu à supporter. Par exemple, la Bundesrepublik consacre 1,5 % de PIB de moins que la France pour l'éducation de ses petites têtes blondes, tout en rémunérant mieux ses instituteurs. De l'avantage d'être infertile. Un autre impact central de cette lacune de la fécondité concerne le prix sur l'immobilier germanique. Le parc ancien absorbe aisément le renouvellement de la demande. Les prix sont restés stables ces 15 dernières années alors qu'ils ont été multipliés par 2,5 en France dans la même période. En 2011, un logement neuf en Allemagne coûtait en moyenne 1300 euros du m² alors qu'il en coûtait 3800 euros en France. Le coût de la vie de l'autre côté du Rhin, très contracté du fait de la démographie (consommation et logement), a permis aux allemands de tolérer longtemps une austérité salariale très poussé. Il faut ajouter à cela le fait que l'Allemagne n'a jamais eu comme objectif d'orienter sa population vers la propriété. L'épargne colossale de la France est concentrée dans un domaine non-productif, l'immobilier. Un des leviers économiques intéressant pour relancer l'investissement serait de réorienter cette épargne vers l'économie réelle en prenant l'exemple allemand.

     

    Les fondements structurels de la reprise allemande

    Evolution des prix de l'immobilier en France et en Allemagne entre 1996 et 2012.   

     

       

        Le second point concerne la spécialisation industrielle de notre voisin. La hausse de la demande des pays émergents ces quinze dernières années s'est localisée sur des produits très prisés des industriels allemands. Le point central de cet avantage comparatif concerne les biens d'équipement, c'est-à-dire le matériel qu'utilisent les professionnels pour produire. L'Allemagne concentre 18% de la main d’œuvre européenne dans ce domaine. Les usines qui poussent en Inde et au Brésil utilisent des machines made in Germany. Sans oublier bien sûre les fleurons classiques de l'industrie allemande comme l'automobile. L'Allemagne a largement su profité de son image de marque dans les pays émergents et a pu résister à la crise grâce à la consommation des nouvelles classes moyennes dans les BRICS.

     

        Le troisième point concerne la réunification de l'Allemagne. La chute du mur a été une épreuve sociale et économique considérable pour le pays et ses effets s'en font toujours sentir aujourd'hui. Cependant, les entreprises allemandes ont su profiter des aspects positifs de la chute du Rideau de Fer et notamment de l'ouverture des pays d'Europe de l'Est. Avant les années 1990, la France fournissait à l'Allemagne une sous-traitance à bas coût. Depuis, les grandes entreprises se sont rabattus sur la Pologne, la Tchéquie ou la Slovaquie. Le véritable tour de force c'est que cette adaptation aux nouveaux marchés s'est faite sans délocalisations excessives. En effet l'Allemagne conserve encore une base productive sur son sol. Ceci est dû à un modèle de gouvernance des entreprises très différent du nôtre : Tout d'abord, les Conseils d'entreprise allemands ne sont pas simplement consultatifs mais doivent donner leurs accords pour les grandes décisions managériales. Ensuite, les conseils de surveillances sont composés à 50 % de représentants des actionnaires et à 50 % de représentants du personnel. Enfin la hiérarchie à l'allemande n'inclue pas réellement de PDG mais un exécutif à deux têtes, un directeur pour le conseil de surveillance et un autre pour le conseil d'administration. Cette dyarchie protège les sociétés allemandes du césarisme dangereux qu'on remarque dans les grosses boites françaises. Le modèle social allemand, réputé pour son aptitude à privilégier la négociation aux conflits, inclut également un contre-pouvoir fort au sein des entreprises, ce qui empêche des financiers voraces de les dépecer. Les dirigeants allemands ont parfaitement géré la fin de l'ère communiste et en ont fait une des forces de leur économie.

     

    Les fondements structurels de la reprise allemande

     Image du port du port d'Hambourg

     

       

        Ces trois facteurs nous aident à expliquer le succès teuton malgré la politique néo-libérale de Schroder et non grâce à elle. L'Allemagne a un taux de dépense publique deux fois moins élevé que celui de la France ce qui en fait le seul pays de l'OCDE dont les investissements publics ne couvrent pas l'usure des infrastructures. Si à court-terme cela permet d'économiser encore 1,5 % du PIB, il est évident que cette lacune fera défaut au pays à long-terme. De plus, les lois Hartz, permettant une libéralisation de l’emploi en autorisant le « Hire and Fire » à l'américaine n'a pas été utilisé durant la crise. Les entreprises allemandes privilégient la négociation et la pratique de l'interruption de travail ce qui fait que le taux de chômage a très peu augmenté entre 2008 et 2013. En revanche, lorsqu'il s'est agi de reprendre la production, la disponibilité de la main d’œuvre a permis un retournement de l'économie en à peine deux ans. Cependant, la croissance allemande reste de 1,5 % ce qui est décevant par rapport à la santé économique du pays. La contraction de la demande intérieure est la cause de cette stagnation. La réussite de l'Allemagne peine à se répercuter sur sa population, le gouvernement ne mettant pas fin aux mesures d'austérité prises 15 ans plus tôt concernant les salaires et les dépenses publiques. La situation économique de la population s'améliore ainsi bien plus lentement que celle du pays. Les Allemands seront contents d'apprendre qu'ils vivent dans un pays riche.

     

     

        Coron

     

     

     

    D'après Made in Germany. Le modèle allemand au-delà des mythes de Guillaume Duval


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